samedi 9 juin 2007

Le cavalier de l'orage (David GEMMELL)




RIGANTE : 4 LE CAVALIER DE L'ORAGE :
Les Rigantes sont un peuple conquis. Le terrible Moïdart règne d’une main de fer sur le pays ; il n’y a que dans les territoires du nord que les clans profitent encore d’un semblant de liberté. Car dans les montagnes de Druagh se trouve la forteresse du chef rebelle, Cœur de Corbeau. Jour après jour, celui-ci attend que l’armée varlishe, sous la férule du Cavalier de l’Orage, le propre fils du Moïdart, vienne l’attaquer. L’issue semble inévitable…
Or, ni le Cœur de Corbeau ni le Cavalier de l’Orage ne se doutent que la sauvegarde du monde repose en fait entre leurs mains. Mais si les deux hommes sont destinés à devenir des héros, l’un des deux est malheureusement condamné. Car un secret perdu dans la nuit des temps est revenu hanter ces deux guerriers : ils doivent affronter la vengeance d’un mal ancestral, assoiffé de sang…



Extrait :

Prologue
Le ciel nocturne était éclairé par les flammes ; de la fumée noire tourbillonnait dans toute la vallée. La ville de Shelsans se consumait petit à petit. Il n’y avait plus de cris à présent, plus de gémissements, et plus personne ne suppliait. Deux mille hérétiques avaient été tués, la plupart à l’épée ou à la masse, mais une bonne partie des autres avaient été purifiés par le feu.
Du haut de la colline surplombant la ville, le jeune chevalier du Sacrifice contemplait le brasier. Les flammes lointaines se reflétaient légèrement sur son plastron d’argent maculé de sang et sur son heaume brillant. Soudain, le vent tourna. Winter Kay sentit l’odeur de chair brûlée. En contrebas, le vent attisait la faim des flammes. Elles s’élevaient de plus en plus, dévorant le bois d’antan des murs du vieux musée et les portes gravées de l’église d’Albitane.
Winter Kay retira son heaume. Ses traits fins et anguleux luisaient de sueur. Il tira un mouchoir en lin de sa ceinture et vérifia qu’il n’y avait pas de taches de sang dessus. Rassuré, il passa le tissu sur son visage et dans ses cheveux courts et bruns. Revêtir son armure s’était avéré une perte de temps aujourd’hui.
Les villageois n’avaient opposé aucune résistance armée aux mille chevaliers de la Confrérie qui s’étaient déversés dans la vallée. En fait, des centaines d’entre eux étaient venus à leur rencontre, en chantant des hymnes et en leur adressant des paroles de bienvenue.
En voyant les chevaliers du Sacrifice dégainer leurs épées et éperonner leurs chevaux, ils s’étaient tous agenouillés en implorant la Source qu’elle les protège.
Quelle bande d’idiots, pensa Winter Kay. La Source ne vient en aide qu’à ceux qui ont le courage de se battre ou l’intelligence de s’enfuir. Il ne se rappelait pas combien de personnes il avait tuées aujourd’hui, seulement que, à la tombée de la nuit, sa lame était tout émoussée et que sa sainte cape blanche était maculée de sang impie.
Certains avaient tenté de se repentir, suppliant qu’on les laisse vivre alors qu’on les traînait de force vers le bûcher. Un homme – un prêtre trapu en robe de grossier drap bleu – s’était jeté aux pieds de Winter Kay, lui promettant un grand trésor s’il l’épargnait.
— Quel trésor possèdes-tu donc, gueux ? avait demandé Winter Kay en appuyant la pointe de son épée sur le dos de l’homme.
— L’Orbe, monsieur. Je peux vous conduire à l’Orbe de Kranos.
— Comme c’est pittoresque, avait déclaré le chevalier. Et je suppose qu’il se trouve à côté de l’épée de Connavar et du heaume d’Axias. Peut-être même est-il enveloppé dans la robe de la Dame au Voile ?
— Je vous jure que je vous dis la vérité, monsieur. L’Orbe est caché ici, à Shelsans. Cela fait des siècles qu’il s’y trouve. Je l’ai vu de mes propres yeux.
Winter Kay avait soulevé le prêtre de terre en empoignant ses cheveux blancs. C’était un petit homme, au visage rond ; ses yeux avaient trahi sa peur. Tout autour d’eux, les cris des fidèles qu’on tuait avaient retenti. Winter Kay avait traîné l’homme en direction du village. Une femme était passée devant eux, une épée plantée dans la poitrine. Elle avait fait quelques pas en titubant avant de tomber à genoux. Un chevalier qui la suivait lui avait arraché l’épée du corps et l’avait décapitée. Winter Kay avait continué d’avancer, tenant son prisonnier par le col de sa robe.
L’homme l’avait mené jusqu’à une petite église. Deux prêtres morts étaient étendus sur le seuil. Plus loin se trouvait un groupe de cadavres composé de femmes et d’enfants.
Le prisonnier avait désigné l’autel.
— Nous devons le déplacer, monsieur, avait-il dit. L’entrée de la chambre forte se trouve juste en dessous.
Winter Kay avait rengainé son épée et lâché le prêtre. Ensemble, ils avaient soulevé l’autel afin de dégager la trappe qu’il dissimulait ; le prêtre avait saisi un anneau en fer et d’une traction avait ouvert la trappe, révélant un petit escalier. Winter Kay avait fait signe au prêtre de passer devant. Ce dernier s’était exécuté et le chevalier l’avait suivi.
À l’intérieur tout était sombre. Le prêtre avait trouvé une boîte d’allumettes et allumé une torche prise dans une applique sur le mur grisâtre. Ils avaient progressé le long d’un couloir étroit qui débouchait sur une salle circulaire. Là, des torches étaient déjà allumées et un vieil homme était assis devant une table ovale. Il tenait entre ses mains une curieuse boîte noire gravée, de quarante centimètres de haut environ. Winter Kay avait aussitôt pensé qu’il s’agissait d’ébène polie. En voyant les deux hommes entrer dans la pièce, le vieil homme avait déposé doucement la boîte sur la table.
— L’Orbe est dedans, avait déclaré le captif.
— Oh, Pereus, comment as-tu pu être aussi lâche ? lui avait demandé le vieillard.
— Je ne veux pas mourir. Qu’y a-t-il de mal à cela ? avait rétorqué le prisonnier.
— Tu mourras quand même, avait répondu tristement le vieux prêtre. Ce chevalier n’a pas l’intention de te laisser en vie. Il n’y a pas une once de pitié en lui.
— Ce n’est pas vrai, avait gémi le prisonnier en se tournant vers Winter Kay.
— Ah, désolé, mais j’ai bien peur que si, avait confirmé le chevalier en dégainant son épée.
Le petit prêtre avait essayé de s’enfuir, mais Winter Kay lui avait bondi dessus, en lui assenant un violent coup derrière la tête. Le crâne s’était fendu avec un bruit affreux et le prêtre s’était écroulé sur le sol en pierre.
— Est-ce véritablement l’Orbe de Kranos ? s’était alors enquis Winter Kay.
— Oui-da, c’est bien lui. As-tu la moindre idée de ce que cela signifie ?
— C’est une relique des temps anciens. D’aucuns disent qu’il s’agit d’une boule de cristal grâce à laquelle on peut voir l’avenir. Montre-le-moi.
— Ce n’est pas du cristal, Winter Kay. C’est de l’os.
— Comment connais-tu mon nom ?
— J’ai le Talent, sire chevalier ; et à cet instant précis je le regrette bien. Alors, tue-moi, qu’on en finisse.
— En temps utile, prêtre. Mon bras est fatigué d’avoir trop travaillé aujourd’hui. Je vais le laisser se reposer un peu. Montre-moi l’Orbe.
Le vieux prêtre s’était écarté de la table.
— Je n’ai pas franchement envie de le voir. La boîte n’est pas fermée.
Winter Kay s’était avancé pour soulever le couvercle. Alors que ses doigts allaient toucher la boîte, il s’était aperçu que celle-ci n’était pas en bois, mais forgée dans un métal sombre.
— Que veulent dire ces symboles gravés ici ? avait-il demandé.
— Des sorts de protection. L’Orbe irradie le mal. La boîte le contient.
— Voyons cela.
Winter Kay avait soulevé le couvercle. À l’intérieur, un objet était enveloppé dans un morceau de velours noir. Le chevalier avait posé son épée maculée de sang et pris l’objet. Délicatement, il avait déplié le tissu. Le prêtre avait dit vrai. Ce n’était pas une boule de cristal. C’était un crâne au front ceint d’un bandeau en argent.
— Que signifie cette supercherie ? avait grondé Winter Kay.
Il avait posé sa main sur le crâne jaunâtre. Ce dernier s’était alors mis à briller, comme si une bougie avait été placée sous son dôme creux. Winter Kay avait senti une énorme vague de chaleur s’insinuer par ses doigts et remonter le long de son bras. Une sensation exquise. La vague s’était propagée dans tout son corps, passant par sa poitrine, son cou et sa tête. Il avait ressenti tellement de plaisir qu’il en avait poussé un cri. Toute la lassitude d’une journée de carnage s’était évaporée. Il s’était senti revigoré.
— Quel objet merveilleux ! avait-il déclaré. J’ai l’impression de renaître.
— Le mal reconnaît ses ouailles, avait dit le vieil homme.
Winter Kay avait éclaté de rire.
— Je ne suis pas malfaisant, vieux fou. Je suis un chevalier du Sacrifice. Je ne vis que pour détruire le mal, où qu’il se trouve. J’œuvre pour la Source. Je purifie la terre des impies. À présent explique-moi quelle magie a été placée dans ce crâne.
— Aucune qui ne s’y trouvait déjà. Cette… créature était autrefois un puissant roi. Un grand héros l’a vaincu et a sauvé le monde du mal qu’il représentait. Toutefois, la noirceur qui était en lui ne peut mourir. Elle cherche à se répandre et à corrompre les âmes des hommes. Elle ne t’apportera que le chagrin et la mort.
— Intéressant, avait déclaré Winter Kay. Il y a un vieil adage qui dit que « l’ennemi de mon ennemi doit forcément être mon ami ». Puisque tu as été désigné par l’Église comme un ennemi, ce crâne doit forcément être un instrument du bien. Je ne vois aucun mal en lui.
— C’est parce que ce mal t’a déjà trouvé.
— À présent tu commences à m’ennuyer, vieil homme. Je t’accorde quelques instants pour faire la paix avec la sainte Source, et je t’enverrai ensuite la rejoindre.
— Et je partirai avec joie, Winter Kay. Ce qui est plus que tu ne pourras dire lorsque l’homme à l’œil doré viendra pour toi.
L’épée de Winter Kay s’était levée et baissée presque aussi vite dans un arc meurtrier. Émoussée par une journée de tuerie, la lame n’avait pas décapité entièrement le vieil homme. Du sang avait giclé dans la salle. Plusieurs gouttes étaient tombées sur la table, éclaboussant le crâne. Une lumière avait jailli de l’os. Winter Kay avait regardé de plus près, et l’espace d’un instant il lui avait semblé voir un visage éthéré apparaître sur le crâne. Mais il avait tout de suite disparu.
Winter Kay avait enveloppé le crâne dans le morceau de velours noir et replacé dans la boîte. Puis, il avait pris celle-ci sous son bras et s’était éloigné de Shelsans et de ses ruines en flammes.

© Bragelonne.fr 


Note : 3/3

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