lundi 22 janvier 2007

Légende (David GEMMELL)





LEGENDE :
Druss est une légende.
Ses exploits sont connus de tous. Mais au lieu de la richesse et de la célébrité, il a choisi de vivre retiré loin des hommes, au sommet d'une montagne, avec pour seuls compagnons quelques léopards des neiges. Là, le vieux guerrier attend son ennemi de toujours, la mort.
Dros Delnoch est une forteresse.
C'est le seul endroit par lequel une armée peut traverser les montagnes. Protégée par six remparts, elle était la place forte de l'Empire drenaï. C'est maintenant leur dernier bastion, car tous les autres sont tombés devant l'envahisseur Nadir.
Son seul espoir : le vieux guerrier.








Note : 3/3

Légende, (extrait)
David 
Gemmell
Prologue
L'ambassadeur drenaï attendait nerveusement de l'autre côté des portes gigantesques de la salle du trône. Il était encadré par deux gardes nadirs qui regardaient fixement devant eux. Leurs yeux bridés étaient rivés sur l'aigle de bronze, blasonné dans le bois sombre.
Il passa une langue sèche sur ses lèvres et rajusta sa cape pourpre sur ses épaules osseuses. Il avait été si confiant lorsque, dans la Chambre du conseil de Drenan qui se trouvait à mille kilomètres au sud, Abalayn lui avait demandé de se charger de cette mission délicate : se rendre dans la lointaine Gulgothir et ratifier les traités passés avec Ulric, seigneur des peuplades nadires. Par le passé, Bartellus avait déjà aidé à rédiger des traités et, par deux fois, il avait participé à des conférences, en Vagria occidentale et dans le sud, à Mashrapur. Tous les hommes comprenaient la valeur du commerce et à quel point il était bon d'éviter quelque chose d'aussi coûteux qu'une guerre. Ulric ne ferait pas exception à la règle. Certes, il avait pillé les nations des plaines nordiques. Mais pendant des siècles, leurs habitants avaient rançonné son peuple, par des impôts ou des razzias ; ils avaient semé la graine de leur propre anéantissement.
Ce n'était pas le cas des Drenaïs. Ils avaient toujours traité les Nadirs avec tact et courtoisie. Abalayn en personne était venu par deux fois rendre visite à Ulric dans sa cité de tentes, au nord, et il avait été royalement reçu.
Pourtant, le spectacle de la destruction de Gulgothir avait choqué Bartellus. Que les vastes portes de la ville n'aient pas résisté, il n'y avait rien d'étonnant à cela. En revanche, la plupart des défenseurs avaient aussitôt été mutilés. La place au cœur de la forteresse principale arborait fièrement un monticule de mains humaines. Bartellus tressaillit et écarta ce souvenir de son esprit.
Ils l'avaient fait attendre trois jours, mais ils avaient été courtois… aimables, même.
Il ajusta de nouveau sa cape, conscient que sa frêle corpulence ne rendait pas justice à sa tenue d'ambassadeur. Il tira une pièce de tissu de sa ceinture et épongea la sueur sur sa tête chauve. Sa femme lui répétait constamment que son crâne brillait de manière éblouissante chaque fois qu'il était nerveux. C'était un détail dont il aurait préféré ne rien savoir.
Il risqua un regard vers le garde à sa droite, en réprimant un frisson. L'homme était plus petit que lui. Il portait un casque à pointes bordé de peau de chèvre. Son plastron était en bois laqué et il tenait une lance dont la pointe était en dents de scie. Son visage était aplati et cruel, ses yeux sombres et bridés. Si un jour Bartellus avait besoin de quelqu'un pour trancher des mains…
Il jeta un coup d'œil à sa gauche et le regretta aussitôt, car l'autre garde l'observait. Il se sentit comme un lapin sur lequel plonge un faucon et se remit rapidement à regarder l'aigle de bronze sur la porte, devant lui.
À son grand soulagement, l'attente prit fin et les portes s'ouvrirent.
Bartellus prit une profonde inspiration et pénétra dans la salle.
La pièce était grande : vingt piliers de marbre soutenaient une fresque au plafond. Sur chaque pilier, une torche allumée projetait des ombres lugubres qui dansaient sur les murs en retrait. Derrière chacun de ces piliers se tenait un garde nadir armé d'une lance. Regardant droit devant lui, Bartellus franchit les cinquante pas qui le séparaient du dais de marbre sur lequel reposait le trône.
Là était assis Ulric, Seigneur de Guerre du Nord.
Il n'était pas grand, mais il émanait de lui une puissance formidable. Tandis que Bartellus se déplaçait vers le centre de la pièce, il fut étonné de constater à quel point cet homme rayonnait d'énergie. Ses pommettes étaient hautes, ses cheveux couleur nuit comme tous les Nadirs, mais ses yeux, bien que bridés, étaient violets et saisissants. Son visage était basané, et sa barbe en trident lui donnait un air démoniaque que seule démentait la chaleur de son sourire.
Mais c'est la robe que le seigneur nadir avait revêtue qui impressionna le plus Bartellus : une robe drenaïe de couleur blanche, où étaient brodées les armoiries familiales d'Abalayn : un cheval doré se cabrant au-dessus d'une couronne d'argent.
L'ambassadeur fit une profonde révérence.
- Mon seigneur, je vous apporte les salutations du Seigneur Abalayn, chef élu du libre peuple drenaï.
Ulric acquiesça de la tête en retour et agita la main pour l'encourager à continuer.
- Mon seigneur Abalayn vous félicite pour votre magnifique victoire contre les rebelles de Gulgothir et espère que, les horreurs de la guerre étant maintenant derrière vous, vous voudrez bien considérer ces nouveaux traités et accords commerciaux dont il vous avait parlé lors de son très agréable séjour ici au printemps dernier. J'ai là une lettre du Seigneur Abalayn, ainsi que les traités et les accords.
Bartellus fit un pas en avant, et tendit les trois parchemins. Ulric les prit et les déposa doucement sur le sol, à côté du trône.
- Merci, Bartellus, fit-il. Dis-moi, est-ce vrai qu'on a peur chez les Drenaïs que je marche sur Dros Delnoch avec mon armée ?
- Vous vous moquez de moi, mon seigneur ?
- Pas le moins du monde, répondit innocemment Ulric de sa voix profonde et caverneuse. Des marchands m'ont dit qu'on ne parlait que de ça à Drenan.
- De simples commérages, sans plus, fit Bartellus. J'ai personnellement participé à la rédaction des accords, et si je peux vous être d'une quelconque utilité pour les passages les plus complexes, je me ferai un plaisir de pouvoir vous aider.
- Non, je suis sûr que tout est en ordre, dit Ulric. Mais comme tu t'en doutes, mon shaman, Nosta Khan, doit consulter les augures. Une coutume primitive, certes, mais je suis sûr que tu comprends.
- Évidemment. Si la tradition l'exige…, répondit Bartellus.
Ulric tapa deux fois dans ses mains, et de l'ombre sur sa gauche sortit un vieillard tout ratatiné vêtu d'une peau de chèvre salie pour seule tunique. Sous son bras droit rachitique, il portait un poulet blanc, et dans sa main gauche un large bol en bois creux. Ulric se leva à son approche, tendit les mains et prit le poulet par le cou et les pattes.
Doucement, Ulric le souleva au-dessus de sa tête… Soudain, alors que les yeux de Bartellus se dilataient d'effroi, il rabaissa l'animal et le mordit au cou, arrachant la tête du corps. Les ailes se mirent à battre la chamade et le sang à bouillonner et à gicler, éclaboussant la robe blanche. Ulric maintint la carcasse encore tremblante au-dessus du bol, regardant en silence tandis que le fluide vital tachait le bois. Nosta Khan attendit que la dernière goutte se soit échappée du corps, puis porta le bol à ses lèvres. Il leva les yeux vers Ulric et secoua la tête.
Le Seigneur de Guerre jeta l'oiseau de côté et ôta lentement sa robe. Dessous, il portait un plastron sombre, et une épée pendait à sa ceinture. De derrière le trône il sortit son casque de guerre en acier, bordé d'une peau de renard, et le plaça sur sa tête. Il essuya sa bouche couverte de sang avec la robe drenaïe et la balança négligemment vers Bartellus.
L'ambassadeur baissa les yeux vers le tissu maculé de sang à ses pieds.
- J'ai bien peur que les augures ne soient pas bons, fit Ulric.

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