mercredi 10 janvier 2007

Le faucon de minuit (David GEMMELL)




RIGANTE : 3 LE FAUCON DE MINUIT :
« Dis-lui qu’un jour je lui arracherai le cœur. »
C’est le serment d’un hors-la-loi de dix-sept ans nommé Bane. Né de la trahison, son nom est une malédiction parmi les guerriers rigantes. Ceux-ci admirent ses talents de combattant, mais craignent la violence de son cœur. Car il a juré de tuer ce père qui n’a pas voulu le reconnaître…
Mais son désir de vengeance le conduit loin de ses montagnes natales, vers la grande cité de Roc. Symbole d’éternité et de sainteté, elle cache pourtant la corruption derrière les murs de ses palais flamboyants. Les Prêtres Pourpres y font régner la terreur, persécutant et exécutant les adeptes du Culte de l’Arbre, qui pratique une philosophie d’amour et d’harmonie, guidés par la mystérieuse Dame au Voile.
Le chagrin et la mort d’un être aimé conduiront Bane dans l’arène, il y apprendra le métier de gladiateur afin de devenir le meilleur guerrier de tous les temps. Lorsque son passé le rattrapera, il deviendra le seul espoir d’un peuple condamné et s’opposera à la destruction de tout ce qui lui importe encore. Mais pouvait-on attendre autre chose du fils de Connavar, le légendaire Démone-Lame ?








Note : 3/3



Le Faucon de Minuit, (extrait)
David 
Gemmell
Parax le Chasseur avait toujours méprisé l’orgueil chez les autres. Il savait pourtant à quel point l’orgueil pouvait s’emparer subrepticement d’un homme. Cette pensée était aussi glaciale et mordante que le vent qui soufflait sur les cimes enneigées des montagnes de Druagh. Parax sortit un chapeau de laine de sa sacoche et recouvrit ses fins cheveux blancs. Il posa son vieux regard sur le splendide Caer Druagh, la plus ancienne des montagnes, mais n’arriva pas à en distinguer précisément les contours ni les lointains bois de pins. Aujourd’hui, tout ce qu’il était capable de voir, c’était la blancheur brumeuse des pics qui ressortaient sur le ciel bleu et froid.
Son poney trébucha de fatigue et le vieil homme dut s’agripper au pommeau de la selle. Il caressa le cou de l’animal et tira doucement sur les rênes. La bête avait dix-huit ans. Elle avait toujours été forte et dévouée – une monture en laquelle on pouvait avoir confiance. Mais plus maintenant. Comme Parax, elle trouvait que c’était une traque de trop.
Le vieil homme soupira. À trente ans il avait été au faîte de sa gloire, l’un des plus célèbres chasseurs de tous les pays keltoïs. Mais cela n’avait pas fait de lui un vantard, car il savait qu’il avait juste la chance d’avoir une bonne vue et de disposer d’intuition. Son père, lui aussi un grand traqueur et un célèbre chasseur, lui avait tout appris. À cinq ans, le jeune Parax pouvait identifier plus de trente animaux différents rien qu’à leurs empreintes :
la loutre sauteuse, le blaireau baladeur, le rusé renard, et bien d’autres encore. Son talent en était presque mystique. Les hommes disaient de lui qu’il pouvait lire la vie de quelqu’un dans les brins d’herbe foulés par le talon de sa botte. Évidemment, ce n’étaient que des sornettes, mais lorsqu’il avait entendu cette légende pour la première fois, Parax avait souri, sans reconnaître la naissance d’une once d’orgueil dans ce sourire. En revanche, il était vrai qu’il devinait beaucoup de l’homme qu’il suivait à ses empreintes , les endroits où il montait son campement et plaçait son feu révélaient son degré d’entendement de la nature, la fréquence de repos de sa monture, sa vitesse de déplacement, la patience dont il faisait preuve avec ses poursuivants. Toutes ces choses étaient révélatrices du caractère d’un homme, et une fois que Parax avait compris comment fonctionnait sa proie, il la trouvait toujours, quelle que soit son habileté à dissimuler ses traces.
À trente-cinq ans, la renommée de Parax était devenue telle, que le roi des Perdiis, Alea, l’avait recruté pour sa maison. Et même là, il n’avait pas laissé la fierté prendre le pas sur sa personnalité. À cinquante ans, alors au service du roi Connavar, il s’était autorisé ce qu’il appelait une satisfaction paisible devant le chemin parcouru. Bien que ses yeux ne fussent plus aussi perçants qu’avant, sa lecture des empreintes semblait presque magique à quiconque l’observait. Et, à soixante ans, il pouvait encore suivre une piste aussi bien que n’importe qui, car il avait alors une vie d’expérience derrière lui, ce qui lui donnait un certain avantage sur les plus jeunes. Du moins c’est ce qu’il avait cru, et avec cette certitude, l’orgueil avait poussé telle une mauvaise herbe dans son cœur sans qu’il le remarque. Aujourd’hui, à soixante-dix ans passés, il avait admis depuis quelques années déjà qu’il n’était plus le mâle dominant. Même plus compétent du tout. Et le savoir faisait mal au vieil homme. Mais pas autant que la fierté qui l’avait empêché de dire la vérité à l’homme qu’il aimait par-dessus tout, le roi.
Parax avait servi Connavar pendant près de vingt ans – depuis l’époque où le jeune guerrier l’avait sauvé des colonnes d’esclaves de Roc
et l’avait amené au pied des montagnes majestueuses de Druagh. Il avait chevauché à ses côtés lorsque le jeune homme était devenu laird, puis chef de guerre, et finalement premier Grand Roi depuis des siècles. Il avait été avec lui lors de cette journée sanglante dans la plaine de Cogden, lorsque l’invincible armée de Roc avait été écrasée par la puissance des Loups de fer de Connavar. Rien que d’y penser il en frissonna. Le roi Connavar avait fait confiance à Parax – et voilà que l’âge et l’infirmité grandissante avaient contraint le vieil homme à trahir cette confiance.
— Trouve le jeune Bane, lui avait ordonné le roi, avant que les chasseurs ne le tuent – ou qu’il les tue.
Parax avait regardé au plus profond des yeux aux couleurs étranges du roi, l’un vert, l’autre fauve-doré, dans l’espoir de lui avouer la vérité et de lui dire simplement : « J’ai perdu mon talent, mon ami. Je ne peux pas t’aider. »
Mais en vain. Les mots étaient restés coincés dans sa gorge, agrippés par les serres de la vanité. Il était l’un des plus fidèles conseillers du roi. Il était Parax – le plus grand chasseur du monde connu, une légende vivante. Dès qu’il avouerait à voix haute la vérité, il deviendrait un simple vieillard inutile, qu’on rejetterait et oublierait rapidement. Il s’était donc contenté d’acquiescer d’une révérence maladroite et s’en était allé de Vieux-Chênes au galop, l’esprit tourmenté, en proie à la panique. Ses yeux affaiblis ne pouvaient plus lire les signes, et il avait dû suivre le groupe de chasseurs plusieurs jours dans l’espoir qu’ils le conduiraient au jeune hors-la-loi.
Puis, ce fut l’ignominie ultime. Il avait perdu la trace du groupe de chasseurs. Vingt cavaliers !
Parax en avait pleuré des larmes d’amertume. Autrefois il aurait pu traquer un moineau en plein ciel, et voilà qu’il était incapable de trouver le crottin de vingt chevaux. Il se trouvait à près de deux kilomètres derrière eux lorsqu’il s’était endormi sur sa selle. Son poney peinturluré, fatigué et assoiffé, avait senti l’eau non loin et avait quitté la piste pour aller vers l’est. Parax s’était réveillé en sursaut alors que l’animal gravissait une colline
boisée. Le vieil homme en était presque tombé de selle. De gros nuages obscurcissaient le ciel et il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il se trouvait. Le poney l’avait mené jusqu’à un cours d’eau bouillonnant et Parax avait mis pied à terre. Son dos lui faisait mal et sa bouche était sèche. Il s’était agenouillé pour prendre de l’eau dans ses mains et avait bu.
— Te voilà plus utile que moi, avait-il dit à voix haute. (Le poney avait henni et frappé le sol du pied.) Tu sais l’âge que j’ai ? demanda-t-il à sa monture. Soixante-douze ans. Autrefois, j’ai traqué un voleur durant trois semaines sans m’arrêter. Je l’ai attrapé sur les hauts plateaux, dans les Rocheuses. Le roi m’a payé vingt pièces d’argent et m’a nommé Prince des traqueurs.
Il retira son vieux chapeau de laine et s’aspergea le visage et la barbe. Il avait faim. Il avait emballé des tranches de lard dans de la mousseline, ainsi que du pain et une petite tome de fromage , le tout se trouvait dans son barda. Il pensa tout sortir et préparer un feu, mais au même moment le chaud soleil de l’après-midi perça entre les nuages et il s’assoupit, la tête appuyée contre un rocher rond.
Il rêva à des jours meilleurs, avant que ses yeux ne le trahissent, des jours de rire et de joie, après que le jeune roi eut chassé les soldats de Roc des territoires du nord. De rire et de joie – sauf pour le roi. Le Roi Démon : voilà comment ils l’appelaient, à cause de sa férocité et parce que les hommes se souvenaient de la terrible vengeance qu’il avait mise en œuvre pour le meurtre de sa femme. À l’époque où Connavar n’était qu’un simple laird rigante, il avait massacré à lui seul le village du meurtrier, le réduisant en cendres et tuant hommes, femmes et enfants. Depuis ce jour-là, Parax ne l’avait plus jamais entendu rire, et n’avait plus, non plus, vu de la joie dans ses yeux.

© Bragelonne.fr


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